Cession des sites industriels: Impact de la reconnaissance du préjudice écologique sur les garanties de passif environnemental

Suite à l’introduction par la loi du 8 août 2016 d’un véritable « préjudice écologique » au sein du Code civil, la gestion du passif environnemental se révèle être un enjeu des plus incontournables dans la cession de contrôle des sociétés exploitant un site industriel, poussant de ce fait les praticiens à développer et à systématiser le recours à de véritables garanties de passif environnemental.

1° L’évolution du régime de responsabilité environnementale

Le 16 mai 2013, le Sénat avait adopté à l’unanimité la proposition de loi visant à inscrire dans le Code civil, le principe de la réparation du préjudice écologique consacré par l’adoption de la loi n° 2016-1087 du 8 août 2016, dite « loi biodiversité ».

A. D’un régime de responsabilité restrictif…

Si la consécration de la notion de préjudice écologique peut apparaître comme une véritable révolution en matière de droit de l’environnement, notre système légal n’était pourtant pas dépourvu de tout régime de responsabilité dite « environnementale ».
En effet, la loi « biodiversité » consacre une notion prétorienne retenue par la Cour de Cassation dans l’affaire « Erika » le 25 septembre 2012 à la suite de l’incident de 1999 ayant entraîné une marée noire au large de la Bretagne et qui a été réaffirmée dans un arrêt plus récent en date du 22 mars 2016, à la suite de la pollution de l’estuaire de la Loire par une raffinerie du groupe Total.


De son côté, la loi LRE du 1er août 2008 transposant la directive 2004/35/CE sur la responsabilité environnementale (notamment en ce qui concerne la prévention et la réparation des dommages environnementaux) a d’ores et déjà introduit un véritable principe « pollueur-payeur » aux termes des articles L.160-1 et suivants du Code de l’environnement.

La responsabilité de l’exploitant peut en effet, selon ce dispositif, être engagée alternativement pour faute ou sans faute :
sa responsabilité est engagée pour faute ou négligence lorsque l’activité exploitée n’est pas une activité dangereuse au sens de l’annexe III de la directive 2004/35/CE (exploitation de substances dangereuses ou polluantes) et pour les seuls dommages aux espèces et habitats naturels protégés ;
sa responsabilité est engagée sans faute, lorsque l’activité exploitée est une activité dangereuse telle que définie dans l’annexe III de la directive.


Toutefois, ce régime présente de véritables limites dès lors notamment qu’il se veut particulièrement restrictif quant à la nature des dommages visés (seulement les plus graves) et exclut certains types d’exploitants. Par ailleurs, les actions en responsabilité introduites ne peuvent concerner les dommages dont le fait générateur est intervenu avant le 30 avril 2007, ou lorsque ce fait générateur résulte d’une activité ayant définitivement cessé depuis 2007.

B. … à la consécration d’un véritable préjudice écologique

La loi biodiversité introduit au sein du livre III du Code civil, un chapitre intitulé «la réparation du préjudice écologique » qui devient donc un texte d’ordre général…mais non exclusif.

Celui-ci prévoit notamment les dispositions suivantes :


– toute personne responsable d’un préjudice écologique est tenue de le réparer (article 1246 du Code civil tel qu’applicable depuis le 1er octobre 2016 ; auparavant, ancien article 1386-19) ;

On notera que le nouveau régime de responsabilité introduit par la loi biodiversité permet d’élargir les hypothèses de réparation, dès lors qu’il ne fait pas référence à une liste limitative d’exploitants.

– est réparable, dans les conditions prévues au présent titre, le préjudice écologique consistant en une atteinte non négligeable aux éléments ou aux fonctions des écosystèmes ou aux bénéfices collectifs tirés par l’homme de l’environnement (nouvel article 1247 du Code civil);

Par ces dispositions, le législateur reconnait pour la première fois à l’environnement lui-même, un droit à réparation.

– l’action en réparation du préjudice écologique est ouverte à toute personne ayant qualité et intérêt à agir, telle que l’État, l’Agence française pour la biodiversité, les collectivités territoriales et leurs groupements dont le territoire est concerné, ainsi que les établissements publics et les associations, agréées ou créées depuis au moins cinq ans à la date d’introduction de l’instance, qui ont pour objet la protection de la nature et la défense de l’environnement (nouvel article 1248 du Code civil);

La liste susvisée semble ne pas être exhaustive puisqu’il est clairement précisé que l’action est ouverte à toute personne ayant qualité et intérêt à agir.

– la réparation du préjudice écologique s’effectue par priorité en nature (nouvel article 1249 alinéa 1 du Code civil); en cas d’astreinte, celle-ci est liquidée par le juge au profit du demandeur, qui l’affecte à la réparation de l’environnement ou, si le demandeur ne peut prendre les mesures utiles à cette fin, au profit de l’État, qui l’affecte à cette même fin (nouvel article 1250 du Code civil);

En outre, il est expressément prévu que l’évaluation du préjudice tient compte, le cas échéant, des mesures de réparation déjà intervenues par ailleurs, en particulier dans le cadre de la mise en œuvre des dispositions spécifiques prévues par le Code de l’environnement (cf. articles L.160-1 et suivants visés au paragraphe 1-A supra).


Enfin, le nouveau régime est rétroactif et s’applique notamment à la réparation de préjudices dont le fait générateur est antérieur au 1er octobre 2016, à l’exception de ceux ayant donné lieu à une action en justice introduite avant cette date. L’action en responsabilité sur ce fondement doit être intentée dans les dix ans du jour où le demandeur a connu, ou aurait dû connaitre la manifestation du préjudice …

Ainsi, si le préjudice écologique était déjà reconnu d’une certaine manière au sein des prétoires français, son inscription au Code Civil donne un cadre juridique plus clair à la notion et devrait grandement faciliter les recours contre les « pollueurs ».

2° La nécessaire contractualisation du passif environnemental lors de la reprise d’une activité industrielle

En encadrant de façon précise les modalités de mise en œuvre de la responsabilité d’un exploitant de site industriel en cas de pollution, le législateur a clairement démontré une volonté de responsabiliser les acteurs industriels.
Le passif environnemental est ainsi amené à prendre une place de plus en plus importante dans le cadre des cessions de droits sociaux et ceci se comprend d’autant plus facilement que les montants qu’il représente peuvent s’avérer substantiels.

A. Le recours à la garantie de passif …

Prenons le cas d’une cession de contrôle portant sur le capital d’une société exploitant une activité industrielle relevant de la catégorie des Installations Classées pour la Protection de l’Environnement (ICPE)1.
Lors de la cession de titres sociaux, l’identité de l’exploitant ne varie pas, c’est la personne morale exploitante de l’ICPE qui, malgré la cession, reste tenue du passif environnemental.


Ainsi, dans le cas de l’acquisition directe ou indirecte d’une ICPE, l’acquéreur pourrait être amené, en l’absence d’accord contractuel contraire, à supporter le coût d’une remise en état du site s’il venait à cesser son activité.2
Avec la loi biodiversité, à cette charge s’ajoute un risque de voir la responsabilité de la société nouvellement rachetée, être engagée pour un dommage à l’environnement du fait d’une cause antérieure à la cession.


Ainsi, la question de la gestion du risque environnemental dans le cadre de la reprise d’une activité industrielle potentiellement polluante est une question qui se pose avec d’autant plus d’intérêt pour l’acquéreur (mais aussi pour le vendeur).


Pour ce faire, aux termes d’une garantie de passif, le vendeur va effectuer un certain nombre de déclarations qui pourront être plus ou moins larges et porter par exemple sur (i) la conformité de l’activité aux lois sur l’environnement applicables, (ii) l’obtention et la validité des permis et autorisations requis, (iii) l’état du sol, du sous-sol, des eaux de surface et souterraines, (iv) l’absence de pollution due au stockage de substances dangereuses, de déchets, (v) l’absence de réclamation ou plainte de tiers ou enfin (vi) l’absence de litiges environnementaux en cours, mais aussi de tout risque potentiel pouvant générer un préjudice écologique.

La garantie de passif aura ainsi vocation à prémunir l’acquéreur contre toute déclaration inexacte, incomplète ou toute omission du cédant concernant la situation du site cédé.

Seuls seront donc garantis, les pollutions et dommages occasionnés aux tiers qui auront une origine antérieure à la cession.

La rédaction de telles garanties implique généralement d’âpres négociations, non seulement sur le contenu des déclarations qui peuvent être faites, mais également sur les modalités de mise en jeu de la garantie de passif concédée.

Ainsi, compte tenu des enjeux financiers, les négociations relatives à la détermination de la durée et du plafond de la garantie sont des sujets sensibles.

La négociation d’un plafond d’indemnisation pour la garantie environnementale constitue une protection à l’égard du vendeur, en contrepartie des déclarations et garanties bénéficiant à l’acquéreur. Aussi sera-t-il parfois utile de traiter l’éventuel passif environnemental de façon distincte, en appliquant un plafond particulier pour les risques environnementaux. De la même manière, la durée de la garantie de passif environnemental pourra être plus longue que celle accordée à d’autres titres (en matières fiscale et sociale par exemple).

B. …. un remède à l’efficacité parfois limitée.

Si la conclusion d’une garantie de passif dans le cadre de la cession d’une société exploitant un site industriel peut être source de sécurité juridique pour l’acquéreur, elle ne doit pas pour autant être considérée comme un remède sans faille.

Tout d’abord, il est souvent difficile d’avoir, en amont d’une opération d’acquisition, une idée précise des risques environnementaux pesant sur un site industriel, ce qui peut parfois compliquer la rédaction des déclarations du cédant.

Par ailleurs, il faut rappeler que la garantie concédée par le vendeur ne pourra être activée que pour un préjudice ou une réclamation de tiers se révélant postérieurement à la cession, mais ayant une cause antérieure à celle-ci.

Ainsi, en présence d’une continuité d’exploitation entre le cédant et le cessionnaire – lorsque le cessionnaire continue de produire les mêmes produits selon les mêmes méthodes -, il pourra être délicat de déterminer si l’origine de la pollution occasionnée est préalable ou non à la cession. En conséquence, la réalisation d’un audit environnemental à l’occasion de la cession, bien que couteux, peut s’avérer utile pour figer la situation lors du changement de contrôle.

En conclusion, compte tenu des enjeux financiers liés aux cessions de sites industriels, on ne pourra que trop conseiller à l’acquéreur d’obtenir une garantie de passif (qui pourra non seulement être accordée sur la base de larges déclarations réalisées par le cédant mais également, le cas échéant, sur la base d’un audit environnemental), d’en négocier avec minutie chacune des modalités et enfin, de requérir une contre garantie – du type garantie bancaire à première demande – qui lui permettra de disposer de liquidités lorsque – comme cela est souvent le cas – la mise jeu de la garantie donnera lieu à de longues discussions, voire à des expertises qui durent.

1- Exploitations industrielles ou agricoles susceptibles de créer des risques ou de provoquer des pollutions ou nuisances, notamment pour la sécurité et la santé des riverains

2- L’une des obligations majeures de l’exploitant d’une ICPE est l’obligation administrative de remise en état après la cessation d’activité. Ainsi, cette obligation consiste à mettre à la charge du dernier exploitant, le coût financier de la dépollution du site sur lequel l’activité a été exploitée.

Philippe DUMEZ & Candice LOSADA
DELSOL AVOCATS
Avocats aux Barreaux de Lyon et Paris

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