Les opérations sur titres, sur l’immobilier opérationnel ou sur les fonds de commerce sont au cœur de la vie économique des entreprises.
Qu’elles soient réalisées au sein des groupes de sociétés ou entre de parfaits tiers, ces opérations doivent faire l’objet d’une préparation attentive afin de sécuriser la situation fiscale de l’ensemble des parties intervenantes.
Croissances externes, apports en société, rachat de titres en vue de leur annulation, cession dans le cadre d’un départ en retraite… les applications possibles de ce type de contentieux sont nombreuses.
Au cours des dernières années, le nombre de procédures engagées autour de ces notions a pris une large ampleur pour 2 raisons principales.
En premier lieu, l’administration fiscale dispose d’une base de données riche. En matière d’immobilier l’Administration exploitait déjà largement les référentiels de valeurs tirés des actes de vente enregistrés auprès de ses services. Pour d’autres types d’actifs, les services fiscaux se sont modernisés grâce à l’exploitation des données du datamining, qui devient déjà un enjeu majeur avec les outils d’intelligence artificielle dont elle dispose – Cf. Notamment le logiciel Galaxie déployé depuis le printemps 2022 dans le cadre du dispositif PILACT (PILotage et Analyse du ConTrôle), dont l’objet est la modernisation du système d’information consacré au contrôle fiscal.
En second lieu, elle s’est dotée d’une compétence spécifique en matière d’évaluation notamment en ce qui concerne la valeur des sociétés non cotées. Les services de contrôle sont désormais formés sur ces sujets, et la récurrence des décisions rendues en faveur de l’Administration fiscale a largement augmenté.
Par les différentes procédures mise en œuvre en matière d’impôt sur les sociétés ou d’imposition personnelle, les services fiscaux recherchent principalement l’intention libérale ou l’anormalité d’une situation qui a pu conduire une des parties à concéder un prix différent de la valeur vénale réelle ou supposée de l’actif concerné pour qualifier et imposer cet avantage entre les mains de son bénéficiaire.
Un arsenal efficace
En matière de droits d’enregistrement tout d’abord, l’article L17 du livre des procédures fiscales permet aux services fiscaux de procéder à des rehaussements de droits lorsqu’ ils constatent que le prix convenu dans un acte s’écarte de la valeur vénale du bien cédé.
Il s’agit d’un contentieux très souvent mis en œuvre en matière immobilière et qui provoque l’incompréhension des contribuables. Faire une (trop) bonne affaire immobilière, même auprès d’un parfait inconnu, expose l’acquéreur à une rectification en matière de droit d’enregistrement, sans qu’il soit besoin de démontrer que l’une ou l’autre des parties étaient de mauvaise foi et sans besoin de rechercher que l’une d’elle a souhaité accorder un avantage à l’autre.
En matière d’impôts directs, les outils utilisés dépendent des situations de fait. L’écart constaté entre le prix convenu et la valeur vénale d’un bien constitue soit un avantage pour l’acquéreur (ex : acquisition à prix minoré) soit un avantage au bénéfice du vendeur (ex : cession à prix majoré).
Dans ce cas, la qualité du bénéficiaire de l’avantage consenti oriente la procédure de rectification conduite par l’Administration.
Les cas les plus fréquents de rectification dans le cadre d’un reclassement par voie de cession ou par voie d’apport en nature au capital d’une société sont les suivants.
Acquisition par une société d’un élément d’actif à prix majoré (ou vente à un prix minoré)
En cas d’acquisition par une société d’un élément d’actif à un prix délibérément majoré par rapport à sa valeur vénale et en l’absence de contrepartie justifiant cet écart de prix, l’avantage octroyé au vendeur doit être requalifié comme une libéralité représentant un avantage occulte constitutif d’une distribution de bénéfices au sens des dispositions du c de l’article 111 du CGI.
Dans ce type de cas, une personne physique ayant bénéficié d’un avantage dans le cadre d’une telle opération est susceptible de supporter une imposition rectificative à l’impôt sur le revenu et aux prélèvements sociaux calculée sur la base de l’écart de prix constaté, avec une majoration de 25% (Article 158, 7-2° du CGI), outre les éventuelles pénalités et intérêts de retard.
Dans la même logique, le transfert d’une branche complète d’activité ou d’un fonds de commerce au sein d’un groupe doit répondre aux mêmes exigences d’évaluation de la valeur vénale des éléments d’actif afin que le prix payé par l’acquéreur (ou le prix encaissé par l’entité cessionnaire) ne traduise pas, chez la société l’existence d’un acte anormal de gestion susceptible de donner lieu à une rectification.
En effet, lors d’opérations de cette nature réalisées entre sociétés membre d’un même groupe (notamment dans les opérations entre société mère et filiale ou entre sociétés sœurs), l’Administration vérifie également la correcte évaluation des éléments transférés et peut qualifier les écarts constatés comme des subventions chez l’entité bénéficiaire.
Acquisition par une société d’un élément d’actif à prix minoré
La constatation d’un rehaussement du point de vue de la société cessionnaire ou bénéficiaire d’un apport réalisé sur la base d’une valeur minorée est un axe de contrôle fréquent.
En cas d’acquisition par une société d’un élément d’actif à un prix minoré, la différence entre la valeur réelle du bien et son prix d’acquisition traduit, en l’absence de toute contrepartie, l’octroi d’une libéralité taxable, qui a vocation à être réintégrée, à concurrence de l’écart constaté, dans le résultat taxable de la société acquéreur (CE 5 janvier 2005 n° 254556, Sté Raffypack).
Dans le prolongement de cet arrêt de principe de 2005, la jurisprudence a été précisée : il est considéré qu’une telle rectification de l’actif net d’une société suppose la réunion de deux conditions :
L’existence d’un écart significatif entre le prix convenu et la valeur réelle du bien : le Conseil d’Etat a eu l’occasion de considérer comme non significatif un écart correspondant à 14,75 % du prix convenu – CE 31 mars 2010 n° 297307, Petit, ou n’excédant pas 20% – CE 3 juillet 2009 n° 301299, Hérail.
L’intention pour le cédant d’octroyer et pour la société bénéficiaire de recevoir une libéralité.
Dans certaines circonstances, une présomption de libéralité est érigée comme un principe lorsque les parties sont en relation d’intérêts (CE 9 mai 2018 n° 387071, Sté Cérès) : liens familiaux entre cédant et les associés de la société cessionnaire, opérations intra-groupes entre une société mère et sa filiale ou entre une société et son principal actionnaire (CE 21 novembre 1980 n°17055).
Comment déterminer le juste prix ?
Par principe, les immeubles doivent être évalués selon la méthode d’estimation par comparaison.
En cas de contrôle, la démarche de l’Administration consiste à critiquer les valeurs retenues lorsqu’elles s’avèrent trop faibles en retenant des comparables ressortant des opérations portées à sa connaissance
Dans le cadre de transactions antérieures au jour de la cession de l’immobilier ;
Sur période de référence plus ou moins courte selon la zone à considérer et selon le dynamisme du marché local.
Dans le cadre de ce type de contentieux, la charge de la preuve appartient à l’administration mais celle-ci dispose d’un avantage majeur au vu de la masse des données de comparables à sa disposition.
A l’inverse, si le contribuable ne prend pas le soin suffisant de se préconstituer un dossier pour justifier la valeur vénale retenue, en recourant par exemple à une évaluation immobilière en bonne et due forme, la discussion sera déséquilibrée.
Seuls des éléments de fait ou de droit circonstanciés et appuyés de justification suffisantes peuvent être avancés par les contribuables pour « défendre » la pertinence d’un prix s’écartant des comparables présentés par l’Administration dans une zone géographique donnée.
Pour les titres de sociétés, l’exercice s’avère plus délicat encore mais une réalité s’impose : la valeur des titres correspond rarement à la valeur des capitaux propres comptables, et encore plus rarement (si ce n’est quasiment jamais !) à leur valeur nominale.
Pour les sociétés cotées, il existe bien des opérations comparables et une valeur de titres de référence issue des transactions boursières.
Pour les sociétés non cotées, la règle à privilégier consiste à vérifier l’existence de transactions récentes de titres réalisées dans des conditions équivalentes dans l’entreprise elle-même (CE 3 juill. 2009, n° 306363) et au sein de sociétés dont les caractéristiques sont équivalentes pour en déduire la méthode pertinente d’évaluation.
A défaut d’opération comparables de référence, les méthodes d’évaluation reposent sur l’approche patrimoniale et sur l’évaluation des titres basée sur une approche par le rendement, avec notamment le recours à la méthode « DCF » qui repose sur une projection des flux de trésorerie actualisés, tirés du business plan de l’entreprise à valoriser.
Il est admis par la jurisprudence à titre de principe qu’en matière d’évaluation de titres, « les perspectives d’avenir de la société à prendre en compte sont celles qui existent au moment de la transmission des titres, fait générateur de l’impôt » (Cass. com. 7 décembre 1993, Delloye).
Cette démarche a de nouveau fait l’objet d’un rappel exprès dans un arrêt récent rendu a propos d’une SCI et de l’évaluation d’un usufruit : CE 20 mai 2022 no 449385, Sté civile Ambroise Collard et a. : « D’une part, la valeur vénale des titres d’une société non admise à la négociation sur un marché réglementé doit être appréciée compte tenu de tous les éléments dont l’ensemble permet d’obtenir un chiffre aussi voisin que possible de celui qu’aurait entraîné le jeu normal de l’offre et de la demande à la date où la cession est intervenue. L’évaluation des titres d’une telle société doit être effectuée, par priorité, par référence au prix d’autres transactions intervenues dans des conditions équivalentes et portant sur les titres de la même société ou, à défaut, de sociétés similaires. En l’absence de telles transactions, celle-ci peut légalement se fonder sur la combinaison de plusieurs méthodes alternatives ».
La même rigueur de raisonnement doit être appliquée pour l’évaluation d’un fonds de commerce ou d’une branche d’activité, avec la nécessité d’avoir dans ce cas une approche analytique.
Or, un prix de convenance peut rapidement trouver la faveur des parties pour des considérations bien souvent autres que fiscales :
l’intérêt de l’acquéreur à trouver une synergie avec l’activité reprise,
la volonté de sortir rapidement d’une situation de conflit entre associés,
les accidents de la vie, qui obligent à considérer la cession d’une participation sans qu’elle n’ait pu être préalablement anticipée…
C’est lorsque ce prix de convenance est surestimé ou sous-estimé qu’il génère un risque de contrôle, et par suite de contentieux fiscal.
De même, si l’application de décotes justifiées est possible, et même admise par l’Administration dans son propre Guide de l’évaluation des entreprises et des titres de sociétés, leur niveau et leur pertinence doivent être minutieusement étudiés dans chaque situation de fait.
Alors oui, la mise en œuvre de ces approches d’évaluation requiert souvent l’intervention d’un professionnel : rapport d’évaluation, établissement d’un business plan par l’expert-comptable, vérification de l’occurrence et de la nature du risque fiscal encouru pour chaque type d’opération en fonction de la qualité du cédant et du cessionnaire : la dépense engagée en matière de conseil sur ces sujets n’est toutefois jamais superflue.
Pour aller plus loin : Guide de l’évaluation des entreprises et des titres de sociétés – Impots.gouv.fr
July BAILLY
Fiscaliste – Inelys