Les holdings de managers ou « Manco » qui permettent à des salariés de détenir indirectement une quote-part du capital de leur entreprise par le biais d’une société dédiée créée spécifiquement pour détenir une participation du capital de l’entreprise.
I – Recrutement et fidélisation des équipes : un enjeu stratégique pour les entreprises
Depuis quelques années, et encore plus depuis le COVID, les entreprises rencontrent des difficultés de recrutement à tous les niveaux, cadres, managers, collaborateurs …
Elles peinent à stabiliser leurs équipes. Une nouvelle donne s’est installée dans beaucoup de secteurs, l’activité professionnelle devant de plus en plus, pour les nouvelles générations, avoir « du sens », indépendamment des aspects financiers.
Les entreprises ressentent que la valeur « travail » s’en trouve modifiée, et que cette dernière a évolué et évolue encore – cf l’actualité sur le projet de réforme des retraites –
Le débat déjà ancien sur la notion de partage de profits et de partage de la valeur de l’entreprise s’en trouve encore relancé.
Dans ce contexte, les entreprises vont chercher des solutions pour améliorer le recrutement des meilleurs profils, en essayant notamment de renforcer le lien d’appartenance entre elles et leurs salariés.
Elles essaient de trouver des réponses adéquates pour tenter de stabiliser leurs équipes, pour renforcer l’implication et la motivation de leurs salariés, donner du sens au travail et des objectifs que chacun peut s’approprier.
C’est actuellement devenu un véritable enjeu stratégique.
Parmi les diverses solutions à disposition des entreprises, se trouvent les mécanismes d’actionnariat salarié.
II – L’actionnariat salarié : des dispositifs multiples
Il s’agit d’une manière générale, de mettre en place des outils de fidélisations et de motivation des salariés, en leur permettant de bénéficier de l’accroissement de valeur de leur entreprise.
Ce que l’on appelle l’actionnariat salarié correspond à un ensemble de dispositifs et de mécanismes différents les uns des autres, dont celui de la Manco.
Parmi ces différents dispositifs, nous pouvons citer, de manière non exhaustive :
- Les augmentations de capital spécifiquement réservées aux salariés (création d’actions nouvelles au profit des salariés), dans le cadre d’un plan d’épargne entreprise (PEE),
- Le dispositif d’attribution d’actions gratuites (AGA) aux termes duquel une entreprise va attribuer gratuitement ses propres actions à ses salariés ou dirigeants, ou une partie d’entre eux. Ce mécanisme est réglementé par la loi de manière précise. Contrairement à d’autres procédés (cf infra), les règles fiscales applicables pour le salarié sont clairement définies. La fiscalité du gain d’acquisition ainsi que celle de la plus-value éventuelle en cas de cession variera selon la date d’acquisition définitive des actions et la date de leur revente.
- Les dispositifs d’actions de performance que sont les stocks-options, les bons de souscriptions d’actions (BSA), les bons de souscriptions de parts de créateur d’entreprise (BSPCE), … qui vont permettre aux salariés d’acquérir des actions de leur entreprise, pendant une période déterminée et à un prix fixé le jour de l’attribution de l’option ou des bons.
On rencontre ainsi fréquemment ce que l’on appelle les « Management Packages », qui sont attribués aux managers d’une entreprise lors d’une opération de LBO, corrélativement à l’entrée d’investisseurs financiers.
Il convient de préciser à ce titre que ces Management Packages sont actuellement dans l’œil du cyclone fiscal. En effet, plusieurs arrêts du Conseil d’État du 13 juillet 2021 et du 17 novembre 2021 ont remis en cause la fiscalité applicable jusqu’à présent à ces dispositifs. Désormais, les plus-values réalisées lors du débouclage du Management Package sont susceptibles d’être qualifiées en traitements et salaires s’il est démontré que les avantages générés trouvent leur source dans l’exercice des fonctions de dirigeants ou de salariés.
Cette jurisprudence serait applicable à tous les mécanismes de BSA, actions de préférence, ou options d’achat consenties à un prix préférentiel, etc … (mais en dehors semble-t-il du cas des attributions gratuites d’actions AGA qui ont un régime fiscal particulier). Si les plus-values réalisées par les salariés sont la contrepartie de leurs fonctions exercées dans l’entreprise, elles sont alors taxées en traitements et salaires et non plus comme des plus-values de cessions de valeurs mobilières.
- Enfin, les holdings de managers ou « Manco » qui permettent à des salariés – et pas seulement des managers – de rentrer au capital de leur entreprise par le biais d’une société dédiée créée spécifiquement pour détenir une quote-part de capital de leur entreprise.
Le présent article s’intéresse ainsi plus spécifiquement à ce que l’on appelle communément les « Manco ».
III – La manco : une solution à la carte ?
D’une manière générale, le sens d’un projet de mise en place d’une holding de salariés dans une entreprise – le cas échéant indépendamment de tout projet de LBO – tend vers les objectifs suivants :
- Associer les salariés à la croissance et au développement de leur entreprise par une participation capitalistique dans leur outil de travail,
- Permettre aux salariés de bénéficier, lors de la revente de leurs actions de la Manco, de l’accroissement de la valeur de l’entreprise à laquelle ils contribuent par leur travail,
- Renforcer l’implication et la motivation des équipes ainsi que l’attrait de l’entreprise dans le cadre du recrutement de nouveaux salariés,
- Créer de la stabilité et de l’engagement au sein de la société avec les personnes qui partagent les mêmes valeurs et la même ambition ; et créer ainsi une équipe solide.
A – Une manco c’est quoi ?
D’une manière très large, il s’agit d’une entité ou plus particulièrement d’une société holding qu’on appelle communément « Manco », qui va réunir des salariés d’une entreprise, qui seront associés au capital de cette société holding, laquelle va elle-même détenir une participation au capital de l’entreprise.
Ce dispositif peut se rencontrer dans le cadre d’opérations de LBO ou d’opérations de transmission avec des investisseurs financiers type fonds d’investissement, qui vont également associer à l’opération des salariés de l’entreprise cible.
Il peut aussi se mettre en place en dehors de tout schéma de transmission, parce que les fondateurs actionnaires majoritaires souhaitent faire participer leurs salariés au capital de leur entreprise et qu’un certain nombre de salariés ont fait part de leur volonté de pouvoir être associé dans leur entreprise.
B – Points de vigilance / stabilité fonctionnement et capital de la manco
L’organisation d’une telle entité pourra être très différente d’une société à l’autre, selon les souhaits et les objectifs des fondateurs majoritaires qui veulent la mettre en place et selon la créativité juridique de leurs conseils.
Les associés de la holding Manco seront composés de tout ou partie des salariés de l’entreprise, cette composition étant ainsi variable et réunissant les salariés qui ont fait part de leur volonté de participer au projet et qui répondent aux critères qui ont pu être définis pour pouvoir y participer.
Les fondateurs de l’entreprise pourront également être associés, soit de manière majoritaire soit en restant minoritaires au capital de la société holding.
Dans le cadre d’une Manco, il n’y a pas d’actions gratuites. Les salariés qui participent au projet doivent investir personnellement au capital, c’est-à-dire apporter des fonds personnels pour souscrire au capital de la structure. C’est là que réside parfois la principale difficulté de mise en œuvre car cela va dépendre du montant de la valorisation de l’entreprise, et des capacités financières des salariés.
C’est cette entité qui ensuite, détiendra une quote-part du capital de l’entreprise. Cette détention d’un pourcentage du capital de l’entreprise pourra s’effectuer par rachat d’actions de l’entreprise, ou par souscription à une augmentation de capital de l’entreprise, ou encore, par le biais d’un apport d’actions de l’entreprise effectué par les fondateurs majoritaires de l’entreprise, lesquels deviennent donc également associés de la Manco, à côté des salariés.
Les fonds apportés personnellement par les salariés pourront, selon les cas, servir à participer à un projet de croissance de l’entreprise. Ils pourront également constituer une réserve qui restera dans les caisses de la holding des salariés pour assurer la liquidité nécessaire lors des retraits de ces derniers.
Il apparaît essentiel d’organiser cette structure holding afin de lui garantir une véritable stabilité, tant dans son fonctionnement que dans son capital.
Cette stabilité pourra le cas échéant être garantie par la présence au capital, majoritaire ou minoritaire, du ou des fondateurs dirigeants de l’entreprise qui seront dès lors corrélativement associés et/ou dirigeants de la Manco.
Pour garantir cette stabilité de fonctionnement, il sera possible de prévoir que la direction est assurée par le ou les fondateurs et/ou qu’un certain nombre de décisions importantes doivent recueillir leur accord.
De même, les règles de transmission des actions de la société elle-même devront être bien précisées, notamment la nécessité d’un agrément, qui pourra être donné par un comité composé des salariés et des fondateurs de l’entreprise, pour toute cession d’actions, ou toute nouvelle entrée au capital de la société.
C – Règles d’entrée et de sortie de la manco – valorisation
Entrée au capital de la holding des salariés
Les règles pour qu’un salarié puisse devenir associé de la MANCO devront être définies précisément. Il pourra également être fixé un nombre minimum de salariés devant participer au projet pour que cela déclenche sa mise en place.
Parmi ces règles, il pourra être prévu par exemple :
- L’obligation d’être salarié de l’entreprise, ou le cas échéant d’une autre société du groupe contrôlée par l’entreprise
- L’obligation ou pas d’avoir une certaine ancienneté
- La règle relative à l’apport en numéraire exigé par chaque salarié entrant au capital (investissement minimum à prévoir)
- La possibilité ou pas de souscrire au capital via un PEA,
- L’agrément nécessaire d’un Comité spécifique et/ou du ou des dirigeants fondateurs de l’entreprise pour tout nouvel entrant
- La règle -ou pas- de priorité aux nouveaux entrants au capital plutôt qu’aux salariés déjà associés de la MANCO qui souhaiteraient augmenter leur participation, la volonté étant d’intégrer le plus de salariés possible.
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Sorties du capital de la holding des salariés
Corrélativement, des dispositions précises seront à prévoir pour définir dans quelle mesure les associés de la MANCO bénéficient ou pas, d’un droit de retrait volontaire du capital ; et, si un droit de retrait est admis, celui-ci mérite d’être particulièrement bien encadré.
Il pourra être envisagé par exemple, une clause statutaire d’inaliénabilité des actions de la société pendant un certain délai ; afin de favoriser une logique d’investissement à moyen et long terme, avec le cas échéant quelques exceptions particulières en cas de mariage, divorce ou acquisition de résidence principale.
Il conviendra d’être également vigilant face aux problèmes qui seraient engendrés par un retrait collectif d’un nombre important de salariés qui choisiraient de tous vouloir se retirer du capital de la Manco en même temps.
Un autre point essentiel sera de déterminer clairement les conséquences en cas de décès ainsi qu’en cas de perte de la qualité de salarié.
Notamment, prévoir par exemple, une clause de sortie forcée en cas de perte de la qualité de salarié ainsi qu’en cas de décès du salarié, avec l’obligation pour les fondateurs majoritaires de racheter ou faire racheter par d’autres salariés les titres de la Manco, voire dans le cadre d’une réduction de capital.
Valorisation des titres de la Manco
Pour faciliter et organiser les entrées et sorties du capital de la structure, la valorisation des actions de la Manco ; laquelle est directement liée à l’accroissement ou à la dégradation de la valorisation des titres de l’entreprise, devra faire l’objet d’une attention particulière.
Prévoir par exemple le principe d’une valorisation annuelle des titres de la holding, avec une méthode de valorisation définie et une procédure avec des délais précis pour notifier son souhait de devenir associé ou au contraire de sortir du capital (période de l’année limitée, délai de mise en œuvre du rachat, délai de règlement…).
D – Risques et inconvénients pour l’entreprise et les salariés
Pour l’entreprise, quels sont les risques ou les inconvénients ?
- La Manco étant associée de l’entreprise, elle aura accès à toutes les informations qui sont diffusées aux associés, notamment lors des assemblées générales, la transmission des informations comptables, des réflexions de stratégie, etc … Les salariés associés auront accès à ces informations, avec ainsi un risque de diffusion aux autres salariés. Un point de vigilance particulier devra être apporté à tout ce qui concerne la confidentialité des informations transmises.
- La holding des salariés est une source de dilution de l’actionnariat de l’entreprise. En outre, si celle-ci détient plus de 5% du capital de l’entreprise, elle empêche toute option pour le régime de l’intégration fiscale.
- La Manco étant une société indépendante, directement associée au capital de l’entreprise , il est important qu’un pacte d’associés soit signé avec elle, au même titre qu’avec tout autre associé.
Pour les salariés, quels sont les risques ou les inconvénients ?
- Le risque de perdre ses apports de fonds personnels, et son investissement en cas de difficultés financières de l’entreprise, ou de redressement/liquidation judiciaire,
- Il n’y a pas de garantie de réaliser une plus-value lors de la revente de ses titres,
- La holding aura un coût de fonctionnement juridique, comptable, … à absorber.
Le dernier projet d’Accord National Interprofessionnel (ANI) du 10 février 2023 relatif au « partage de la valeur au sein de l’entreprise » a mis en avant l’objectif de « dynamiser le partage de la valeur » en rendant plus accessibles les dispositifs existants, et a notamment lancé l’expérimentation d’un nouveau dispositif dans les entreprises employant entre 11 et 50 salariés à partir de 2025.
Cela montre, s’il en était encore besoin, la place que prend cette thématique dans le débat public et au cœur des entreprises.
La Manco que nous avons décrite dans le présent article est l’un de ces dispositifs d’actionnariat salarié, assez flexible, qui peut permettre de répondre à cette demande de partage de valeur de plus en plus pressante.
Sophie CHASSIGNOLLE
Avocat au Barreau de LYON
Cabinet CHASSIGNOLLE et Associés
sch@chassignolle-avocats.com
www.chassignolle.com