Le consensualisme et la rupture des pourparlers précontractuels : des notions déterminantes

Reprendre ou céder une entreprise s’accompagne nécessairement de plusieurs étapes jusqu’à la transmission effective de celle-ci.

Aux prémices de ce processus, le cédant ou le cessionnaire vont, quel que soit le mode de transmission choisi, exprimer leurs consentements respectifs. Le rapprochement de ces consentements individuels constituant ainsi la rencontre des volontés, ce que le droit appelle Consensualisme. Aux prémices de ce processus, le cédant ou le cessionnaire vont, quel que soit le mode de transmission choisi, exprimer leurs consentements respectifs. Le rapprochement de ces consentements individuels constituant ainsi la rencontre des volontés, ce que le droit appelle Consensualisme.


La proposition de cession, première étape, précède généralement la manifestation de l’intérêt du candidat repreneur, intérêt formalisé par la remise d’une Lettre d’Intention.
Dès ce stade, en fonction des termes de cette Lettre d’Intention, des conditions suspensives liées à la cession, tant le cédant que le repreneur déclaré, poursuivent le processus d’engagement devant aboutir, au terme de celui-ci, aux opérations de Closing.


Les parties à la cession n’ont pas toujours une exacte appréciation de la teneur de leur engagement et du caractère contraignant de ce dernier. Les termes « option d’achat », « promesse de vente » ; « compromis » ; restent des concepts plus ou moins éclairants sur le fait que revenir sur sa déclaration d’intention (de vendre ou d’acheter) n’est pas sans conséquence. Revenir sur la parole donnée, substituer un candidat repreneur à un autre, décider de ne plus vendre ou bien selon d’autres conditions, n’est bien évidemment pas sans risque.


La rupture des pourparlers précontractuels est le fait de revenir, quel que soit le stade d’avancement de la cession envisagée, sur ce qui est en cours de négociation, que ce soit, la cession elle-même, le périmètre de cession envisagé, le prix, ou bien tout autre paramètre de ces pourparlers. Cette rupture est nécessairement fautive si elle vient contredire un acte, une lettre, et même une simple déclaration d’intention.


En effet, le droit appréhende autant la remise en cause d’un écrit ayant la valeur d’un contrat, qu’il sanctionne sur le fondement de la responsabilité délictuelle ou quasi délictuelle, « des attitudes, des propos, manifestant une volonté laissant à penser que des pourparlers allaient se poursuivre », pourparlers brutalement interrompus (Cour de Cassation Ch. Civ. 1ère – 6 janvier 1998, également Cassation Commerciale – 3 mai 2012).On en devine la sanction : une condamnation possible à de légitimes dommages et intérêts. Pire encore, une cession contrainte !


Par conséquent, une vigilance extrême est indispensable dès les prémices d’un rapprochement. Les parties prenantes à une reprise d’entreprise n’en ont pas toujours conscience et surtout lors des premiers échanges.
La suite de ces premiers échanges, pour peu qu’elle se déroule dans un contexte amiable mais peu ou mal structuré, peut avoir des conséquences fâcheuses sur la perception des candidats cédants et cessionnaires quant à leurs engagements respectifs. Le rappel de la portée de ces engagements doit être la préoccupation permanente du conseil de la partie concernée.


Sa ligne de conduite devra être la bonne foi contractuelle. Là rédaction de l’article 1101 du code civil passant de son ancienne version, ainsi rédigée « le contrat est la convention par laquelle ou une plusieurs personnes, s’obligent, envers une ou plusieurs autres, à donner, à faire ou à ne pas faire quelque chose » à, celle aujourd’hui en vigueur :

« Le contrat est un accord de volontés entre deux ou plusieurs personnes, destiné à créer, modifier, transmettre ou éteindre des obligations. », précise ainsi cette notion d’engagement. Cette nouvelle rédaction accentue davantage le fait que les pourparlers précontractuels ne sont pas seulement les étapes destinées à aboutir au Contrat, l’acte de cession ultime, mais bien, chacun de ces échanges, l’expression de l’accord des volontés, de plus en plus précises, de plus en plus définitives.


Un simple accord de principe fait naître dès l’origine, une obligation d’avoir à poursuivre les négociations, à tout le moins, ne pas les interrompre sous de faux prétextes.
Cet impératif trouve sa source dans l’article 1112 du code civil qui dispose que ces négociations : « doivent impérativement satisfaire aux exigences de la bonne foi ».Une décision récente de la Cour d’appel de PARIS (14 mars 2019), vient éclairer largement sur l’étendue de cette notion de bonne foi, quel que soit l’état d’avancement des négociations préalables :


 « La liberté contractuelle implique celle de ne pas contracter, notamment en interrompant les négociations préalables à la conclusion d’un contrat, sans toutefois que les partenaires pressentis ne soient dispensés de participer loyalement aux négociations et de coopérer de bonne foi à l’élaboration d’un projet, ce dont il résulte que seules les circonstances de la rupture peuvent constituer une faute pouvant donner lieu à réparation. Il sera ajouté que pour apprécier le caractère fautif de la rupture de pourparlers contractuels, il convient de prendre en considération notamment la durée et l’état d’avancement des pourparlers, le caractère soudain de la rupture, l’existence ou non d’un motif légitime de rupture, le fait pour l’auteur de la rupture d’avoir suscité chez son partenaire la confiance dans la conclusion du contrat (de cession) envisagé ou encore le niveau d’expérience professionnelle des participants ».


Ainsi, le fait d’avoir « suscité chez son partenaire la confiance dans la conclusion du contrat envisagé » ouvre toutes les portes possibles à une action en réparation du préjudice subi par celui qui se plaint de la rupture des pourparlers devant, dans son esprit, aboutir à la cession.
Lors du déroulement des négociations, l’exigence de bonne foi signifie que les parties doivent être véritablement animées par la volonté de contracter. Autrement dit, elles doivent être sincères dans leur démarche de négocier et ne pas délibérément laisser croire à l’autre que les pourparlers ont une chance d’aboutir, alors qu’il n’en est rien Cette obligation d’être de bonne foi suppose corrélativement de ne rien dissimuler de ses intentions.


Si l’obligation de bonne foi commande aux parties d’être sincères lors du déroulement des pourparlers, elle n’implique pas une transparence totale : par exemple, le cédant n’est pas contraint de faire part d’éventuelles négociations parallèles avec un concurrent ; le candidat acquéreur n’est pas tenu de révéler son intérêt pour d’autres cibles.(Ce, pour autant qu’aucune clause d’exclusivité ne lie les parties, hypothèse dans laquelle, la situation serait alors radicalement différente.)

Là encore, ce sera la tâche des conseils de préciser, pour chacun des protagonistes, la portée de leurs engagements et les conséquences d’un retrait. Il ne s’agit en rien d’être hésitant sur le bon déroulement du processus de cession ou bien d’inciter à un engagement a minima, mais bien au contraire, de préciser, une fois encore à chaque étape, l’exact degré d’engagement des parties en présence afin qu’elles aient conscience des conséquences d’un revirement éventuel. Ce jusqu’au terme ultime de la démarche de cession. 


Ainsi, les revirements, les simples atermoiements, les mouvements d’humeur susceptibles de conduire la rupture brutale des pourparlers, doivent être réprimés dès l’origine et jusqu’à la cession. Le conseil du cédant devra s’assurer en temps réel, sur l’intégralité de la période préalable à la cession, de sa certitude de vouloir céder. En quelque sorte, maitriser autant la rédaction des actes juridiques que les états d’âme de celui qu’il accompagne.


On a trop vu, et c’est bien humain, un chef d’entreprise, après une belle réussite, convaincu de souhaiter se retirer des affaires et de vouloir céder l’intégralité de son patrimoine professionnel, recouvrer une énergie nouvelle au moment où lui apparait l’image de son acheteur potentiel assis dans son propre fauteuil de direction… .
Vouloir Céder n’est pas toujours synonyme de Savoir Céder. C’est l’autre métier du conseil d’entreprise.

Emmanuel Mouchtouris – Avocat AssociéCabinet SAINT CYR AVOCATS, société d’avocats

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