Il est souvent conseillé au chef d’entreprise de se marier sous le régime de la séparation des biens afin de cloisonner au mieux les patrimoines de chacun des conjoints
Il est souvent conseillé au chef d’entreprise de se marier sous le régime de la séparation des biens afin de cloisonner au mieux les patrimoines de chacun des conjoints et d’éviter ainsi que le patrimoine du conjoint non entrepreneur soit saisi par les créanciers potentiels de l’entreprise pour le cas où les choses tourneraient mal. Il est souvent conseillé au chef d’entreprise de se marier sous le régime de la séparation des biens afin de cloisonner au mieux les patrimoines de chacun des conjoints et d’éviter ainsi que le patrimoine du conjoint non entrepreneur soit saisi par les créanciers potentiels de l’entreprise pour le cas où les choses tourneraient mal.
C’est un peu réducteur car il existe aujourd’hui plusieurs outils/solutions dans une telle situation mais c’est une réalité : la majeure partie des chefs d’entreprises sont mariés sous le régime de la séparation de biens.
Toutefois, ce qui peut paraitre opportun à un moment de la vie, ne l’est pas forcément plusieurs années plus tard…
Se poser la question de la pertinence de son régime matrimonial permet de s’assurer :
Que le conjoint survivant sera assez et bien protégé (tant en termes de valeur patrimoniale transmise qu’en termes d’indépendance de choix, de gestion et de décision par rapport aux enfants) ;Que les flux financiers qui ont pu intervenir entre les époux pendant le mariage ne sont pas susceptibles d’attiser une mésentente familiale ou de créer un risque fiscal ;Que l’organisation patrimoniale du couple est optimale alors qu’ils commencent à envisager d’initier la transmission anticipée de leur patrimoine aux enfants.
Prendre le temps d’y réfléchir avant une cession d’entreprise parait être le moment opportun quand cela n’a pas déjà été fait plus tôt (le plus tôt est le mieux quand on pense optimisation de la transmission). Il s’agit en effet toujours d’une étape importante tant patrimonialement que psychologiquement pour le chef d’entreprise et sa famille. L’ensemble de leurs conseils se rapprochent (conseil(s) en cession, expert-comptable, avocat(s), conseiller en gestion de patrimoine ou family office, banquier privé, notaire…) dans le but d’optimiser la fiscalité de la cession de l’entreprise et également de mettre en place l’organisation patrimoniale post cession. L’audit patrimonial apparait alors incontournable et avec lui la question du régime matrimonial le plus approprié.
Tous les degrés sont possibles en matière d’adaptation de régime matrimonial (avec quelques limites en présence d’une famille recomposée) :
Changer complètement pour passer d’une séparation de biens à une communauté (= tous les biens et revenus futurs tomberont dans la communauté) ou à une communauté universelle (= tous les biens et revenus futurs en ce compris ceux recueillis par donation ou succession tomberont dans la communauté) ;Adjoindre seulement à la séparation de biens une « mini communauté » (appelée société d’acquêts) à laquelle certains biens choisis et identifiés seront apportés ;Apporter à la communauté ou la société d’acquêts tous les biens détenus par le couple au jour du changement ou seulement une partie d’entre eux…
Le choix dépendra de la structure du patrimoine des époux, de l’existence de biens à caractère familial marqué, de l’entente familiale, des besoins des époux, des objectifs de transmission…
Les intérêts d’un tel changement sont multiples :
Protéger le conjoint survivant
D’abord, on note assez fréquemment, à moins d’être en présence d’un couple de chefs d’entreprise, qu’il existe une distorsion importante entre le patrimoine du chef d’entreprise et son conjoint. Cette distorsion, si elle n’est pas toujours palpable tant que le chef d’entreprise travaille, le sera certainement postérieurement à la cession de l’entreprise à un moment où le patrimoine devient liquide et donc plus visible.
Ainsi, en cas de décès du chef d’entreprise, le conjoint survivant sera souvent mal informé, mal préparé et mal protégé.
L’établissement d’une donation entre époux (aussi appelée donation ou testament au dernier vivant) est un prérequis qui aura généralement été mis en place. Attention cependant de vérifier que la rédaction de la donation entre époux permet au conjoint survivant la plus large souplesse en lui offrant la possibilité de cantonner la part qui lui a été léguée afin d’éviter la naissance d’une indivision qui pourrait le placer dans une situation de dépendance économique vis-à-vis de ses enfants. En effet, en présence d’une indivision, le conjoint survivant devra donc obtenir l’accord des enfants pour vendre ou encore pour remployer le prix de cession, ce qui peut être gênant pour certains biens sensibles telle la résidence principale.
Mais la donation entre époux n’est pas toujours suffisante puisque la quote-part que le conjoint survivant pourra recueillir sera limitée par la loi. L’option offrant le plus de droits au conjoint survivant sera souvent la suivante : ¼ en pleine propriété + ¾ en usufruit du patrimoine du conjoint décédé. Et cette option, même large, ne sera pas suffisante lorsqu’il existe un risque de mésentente familiale (ou une mésentente existante), lorsque le conjoint survivant est jeune au moment du premier des décès, lorsque la résidence principale (actif sensible) représente plus d’¼ du patrimoine du chef d’entreprise (cela peut être le cas si la part du patrimoine placée en assurance-vie est significative), lorsque du fait de donations antérieures l’actif existant au décès est réduit…
Le changement de régime matrimonial permettra alors de mieux protéger le conjoint survivant. D’abord, en élargissant les biens inclus dans la communauté ou la société d’acquêts (nous l’avons dit, tous les degrés sont possibles). Et ensuite en insérant une clause dite de préciput dans la nouvelle convention matrimoniale. Cette clause dite de préciput laisse au conjoint survivant la possibilité de prélever tout ou partie des actifs inclus dans la communauté (ou dans la société d’acquêts) en usufruit et/ou en pleine propriété selon sa volonté au jour du décès. Le conjoint survivant par l’ampleur de son prélèvement déterminera par différence ce qui restera au profit des enfants dans la succession.
La souplesse octroyée au conjoint survivant est importante (et ce d’autant plus que la communauté aura été conçue largement) ce qui lui permettra de réaliser les meilleurs choix en fonction de la situation familiale (entente, besoins de chacun…), de son âge et donc de ses besoins, de sa situation patrimoniale et fiscale, de la fiscalité successorale alors applicable…. La clause de préciput se distingue de la clause d’attribution intégrale qui a pour effet de transférer l’intégralité du patrimoine de communauté (ou de la société d’acquêts) au conjoint survivant de façon automatique.
Sauf exceptions (absence d’enfants, enfant handicapé, absence de droits de succession…), cette clause sera à éviter du fait du peu d’ingénierie tant patrimoniale que fiscale qu’elle permet de réaliser au moment du règlement de la succession. Remarque : mieux protéger le conjoint survivant ne signifie pas toujours le protéger plus (en lui attribuant plus de droits) mais parfois en lui permettant de s’assurer de pouvoir recueillir des actifs sensibles pour lui (nous pensons notamment au cas de la famille recomposée).
Rassurons les pessimistes, c’est-à-dire ceux qui se pensent susceptibles de céder au démon de midi, il sera possible de prévoir une clause selon laquelle tous les apports réalisés au profit de la communauté ou de la société d’acquêts, pourront être repris en cas de divorce.
Régulariser la confusion des patrimoines
Ensuite, même si les époux comprennent le régime de la séparation de biens et le choisissent pour sa singularité qu’est l’indépendance totale des patrimoines de chacun des époux et qui a pu faire dire à certains que « la séparation de biens est moins un régime matrimonial qu’une absence de régime matrimonial » (R. Savatier), un glissement s’opère systématiquement et malgré eux…car avec les années, la confiance, les liens créés, l’insouciance ou l’ignorance selon les cas, une entraide naturelle se matérialise, des flux financiers s’opèrent d’un patrimoine à l’autre, l’un paie les dettes de l’autre, une confusion des comptes bancaires se met en place…Bref, les époux agissent comme s’ils étaient mariés sous le régime de la communauté.
Les règles sont pourtant claires : tout flux financier entre les patrimoines des époux devra être qualifié : charges du mariage, donation, donation rémunératoire, prêt ? La qualification retenue dépendra de l’intérêt personnel de celui qui soulève la question, à l’occasion d’un divorce, d’une succession ou autre. Et voilà que ce régime de séparation des biens, dont le but est de simplifier les choses, vient les complexifier. Nous mentionnerons deux exemples qui feront, peut-être, réfléchir certains.
Le premier est celui de l’enfant de Madame, qui n’est pas l’enfant de Monsieur, et viendra arguer, au jour du décès de sa mère, que celle-ci a financé l’extension de la maison de famille appartenant à Monsieur et que ce dernier a donc une dette envers la succession de Madame. Monsieur, lui aura intérêt à obtenir la qualification de charge du mariage ou donation rémunératoire. Alors quelle qualification ? Quel montant ? Lorsque toutes les parties ne feront pas preuve de bonne volonté, voire de bonne foi, le recours à l’expert sera souvent nécessaire…les relations familiales risquent de s’envenimer…Pourtant, cela aurait pu être éviter en organisant, en informant, en prévenant les choses… Le second est celui de l’acquisition par le couple d’un appartement de rendement à hauteur de moitié chacun, le tout étant financé par Monsieur (inversons les rôles).
L’administration fiscale s’en aperçoit. Elle aura intérêt à redresser sur le fondement de l’existence d’une donation indirecte ou déguisée selon l’environnement de l’opération : droits de donation, pénalité éventuelle de 40% et intérêts de retard seront dus. Là également, cela aurait pu être évité. C’est dans ce contexte de confusion des patrimoines des époux qu’un changement de régime matrimonial peut avoir un grand intérêt. Il permettra aux époux de qualifier ces flux et le cas échéant de les faire disparaitre afin de pacifier par avance une succession future, d’éviter un redressement fiscal…mais également d’optimiser fiscalement la transmission du patrimoine.
Optimiser de la transmission
Un autre intérêt d’adapter son régime matrimonial est celui de l’optimisation fiscale de la transmission. Le fait d’être seul à donner ne permet d’utiliser qu’un seul abattement fiscal par enfant et qu’une seule fois la progressivité des tranches d’imposition aux droits de donation (5%, 10%, 15%, 20%…45% !). Au contraire, lorsque les époux sont deux à donner, la base taxable est divisée par deux et chacun bénéficie de l’abattement et de la progressivité. Le gain fiscal est accentué et encore plus lorsque la donation est réalisée en nue-propriété.
Cet intérêt se concrétise au moment de la transmission non anticipée du patrimoine par succession notamment lorsqu’il existait un déséquilibre entre les patrimoines des époux avant le changement de régime matrimonial. Il se matérialise également avant même un décès, dans le cadre d’une transmission anticipée et organisée du patrimoine des époux, à l’occasion de chacune des donations qui sera réalisée. Notamment au moment de la cession de l’entreprise, période de prédilection du schéma de donation des titres avant cession.
En effet, avant toute adaptation du régime matrimonial, le chef d’entreprise est souvent seul propriétaire des titres de la société. Nous ne reviendrons pas sur l’intérêt du schéma de donation avant cession qui a déjà été décrit précédemment dans cette revue (cf. notamment « L’optimisation fiscale du patrimoine professionnel lors du rachat d’entreprise M. Nicolas Gautier, Notaire ») mais indiquerons seulement qu’un changement de régime préalable permettra d’accentuer le gain fiscal réalisé en réduisant les droits de donation dus.
L’exemple ci-après vous permettra d’appréhender l’économie réalisée : Madame, âgée de 65 ans, donne seule la nue-propriété d’une partie des titres de sa société à ses deux enfants avant leur cession pour une valeur globale de 2 millions d’euros. Le patrimoine familial s’élève à 6 millions d’euros.
Le coût fiscal de la donation s’élèvera à 196.000 €.
Si Madame était préalablement passée (avant le 31 décembre 2019) d’un régime de séparation de biens à un régime de communauté, le coût fiscal de la donation aurait été de 76.000 €.
Le gain fiscal s’élève à 120.000 €.
Mais ce gain doit être rapproché du coût du changement de régime matrimonial…
Le coût d’une adaptation ou changement de régime matrimonial dépend de la valeur du patrimoine concerné par le changement et de sa nature. En simplifiant grandement, il sera de l’ordre de 0,35% de la valeur des actifs mobiliers et de l’ordre de 0,40% (changement réalisé avant le 1er janvier 2020) ou 0,76% (changement réalisé à partir du 1er janvier 2020) des actifs immobiliers concernés.
Le coût de l’opération augmentera ainsi à compter du 1er janvier 2020. Il existait jusqu’à présent une exonération dérogatoire en cas de passage d’un régime séparatiste à un régime communautaire. Cette disposition est remise en cause à partir du 1er janvier 2020. Un droit d’enregistrement de 125 euros ainsi qu’une taxe de publicité foncière correspondant à 0,715% de la valeur du bien immobilier transféré (en général la moitié de la valeur du bien) devront être acquittés par les époux. Nous verrons toutefois que même avec cette augmentation, l’opération reste très intéressante.
Revenons donc à notre exemple dans lequel le coût du changement de régime matrimonial aurait été de l’ordre de 22.000 € soit un gain net de 98.000 €. Et c’est sans compter par ailleurs le gain potentiel qui sera réalisé au niveau familial lors du dernier des décès selon l’importance du déséquilibre patrimonial qui existait entre les époux avant le changement de régime matrimonial, l’ordre des décès…
Nous avons volontairement évité de circonscrire le changement de régime matrimonial aux titres de la société qui ont vocation à être donnés dans l’exemple (soit pour une valeur de 2 millions d’euros) car la sanction de l’abus de droit est présente, et probablement plus encore à compter du 1er janvier 2020 du fait de ce que l’on appelle maintenant le « petit » abus de droit (art. L 64 A du LPF).
Pourquoi faut-il être vigilant ? Car le schéma serait le suivant :
D’abord, un époux marié sous le régime de la séparation des biens (ou bien un époux marié sous le régime de la communauté) apporte ses titres à une société d’acquêts ou à la communauté. Puis les deux époux réalisent une donation de ces titres au profit de leurs enfants.
Le risque est que la communauté soit considérée pour les titres donnés comme un lieu de passage entre le patrimoine de l’époux initialement seul propriétaire et celui du ou des enfants donataires. On se gardera donc de réaliser ce type d’opération tant on aura du mal à justifier de l’existence de buts autres que fiscaux à l’opération.
Mais nous l’avons vu, cela sera rarement un problème compte tenu de l’existence de nombreux intérêts autres que fiscaux à réaliser un changement de régime matrimonial lorsque nous le faisons porter sur une base plus large que les seuls biens qui ont vocation à être donnés aux enfants.
Finissons en précisant que la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la Justice a facilité la procédure de changement de régime matrimonial. Les époux peuvent désormais le modifier sans attendre un délai minimal de deux ans entre chaque changement.
Le législateur a souhaité permettre aux époux de pouvoir adapter rapidement leur régime matrimonial à l’évolution de leur situation professionnelle ou personnelle : protection de la famille en cas de création ou de reprise d’entreprise, préparer sans délai une succession…Par ailleurs, il ne sera plus nécessaire de passer systématiquement devant le juge pour homologuer le changement en présence d’enfants mineurs.
La procédure est allégée et son coût réduit du fait de l’absence de l’intervention d’un avocat. C’est au notaire que reviendra la mission de s’assurer que le changement de régime matrimonial est réalisé dans l’intérêt des enfants mineurs. La procédure d’information est quant à elle maintenue envers les créanciers et enfants majeurs, et leur ouvre un délai d’opposition de trois mois susceptibles de renvoyer vers le juge. Mais une telle opération reste rare (cas notamment des familles recomposées dans lesquelles le temps de l’explication et de la discussion n’a pas été pris).
Alexandra ROSENTHALNotaire, Chambre des notaires du Rhône