S.C.I, démembrement et le sort des réserves

I – Bénéfice en instance d’affectation et mise en réserve

L’usufruitier n’a de droit que sur le bénéfice distribué. Tant que les réserves demeurent inscrites au bilan, elles appartiennent toujours à la société.

Par conséquent, l’usufruitier n’a aucun droit sur les bénéfices en instance d’affectation et ceux mis en réserve.

C’est le nu-propriétaire qui dispose de droits sur ces sommes qui ont vocation à accroître le capital. Les droits du nu-propriétaire s’exercent tant sur la réserve légale que sur les réserves statutaires et facultatives.

Une partie de la doctrine considère que le report à nouveau, composé de bénéfices antérieurement reportés, appartient à l’usufruitier. Tel n’est pas le cas selon nous, puisque l’usufruitier ne voit son droit naître qu’à compter de la distribution.
Si par ailleurs, de nouvelles actions sont émises par incorporation des réserves, elles appartiennent au nu-propriétaire sous réserves des droits de l’usufruitier1.

II – La distribution des réserves

Doctrine. Dès lors qu’il est envisagé de procéder à la distribution de tout ou partie des réserves disponibles, il convient de se poser la question de savoir s’il revient à l’usufruitier ou au nu-propriétaire de les appréhender. Les réserves et les sommes assimilées représentent elles un fruit ou du capital ?
La distribution est réalisée par une assemblée générale ordinaire pour ce qui concerne les réserves libres et par une assemblée générale extraordinaire pour les réserves statutaires. Deux conceptions traditionnelles s’affrontent.


Pour une partie de la doctrine, l’affectation d’une partie des bénéfices en réserve le transforme de fruit en capital. Me Rémi Gentilhomme considère que « l’assimilation des réserves à un quasi capital place le débat juridique, qui accompagne leur distribution non plus sur le terrain des fruits, mais sur celui des produits (…). Parce qu’une distribution de réserves diminue les capitaux propres de la société, elle en altère forcément la substance. En conséquence, c’est bien au nu-propriétaire, et non à l’usufruitier, qu’il convient de servir le dividende correspondant2».


L’autre partie de la doctrine qui se fonde sur l’autonomie de la personne morale, considère que les réserves sont un fruit ayant vocation à revenir à l’usufruitier. Pour H. Hovasse, « peu importe que le dividende soit prélevé sur le bénéfice de l’exercice ou sur les réserves, sur un bénéfice courant ou exceptionnel. Il est fruit et reçoit cette qualification par la décision de l’assemblée3 ».


Un autre courant de la doctrine considère que le nu-propriétaire doit assurer à l’usufruitier la jouissance de ces sommes4. Ainsi, si la distribution a pour objet une somme en numéraire, l’usufruitier sera titulaire, à défaut de convention contraire dans les statuts, d’un quasi-usufruit.

Il devra alors employer ou fournir caution conformément aux articles 601 et 602 du Code civil. La situation du nu-propriétaire était ici différente par rapport à la thèse précédente où les réserves sont perçues exclusivement par l’usufruitier. En effet, contrairement à cette situation, le nu-propriétaire bénéficie d’une créance de restitution.

Il existe d’autres propositions doctrinales qui nous paraissent moins pertinentes et plus marginales. Certains distinguent en fonction de la nature de la réserve. Les réserves légale et statutaires seraient des produits. En revanche les réserves facultatives, qui peuvent faire l’objet d’une distribution par une assemblée générale ordinaire, seraient des fruits5. Les réserves distribuées ayant pour objet de compléter un dividende ordinaire en raison de l’insuffisance des bénéfices annuels, reviendraient à l’usufruitier. Elles perdraient ainsi leur caractère de capital par la volonté des associés6.

Jurisprudence. La Chambre commerciale de la Cour de cassation a pour la première fois dans sa décision du 27 mai 20157 définit le principe applicable concernant le bénéficiaire de la distribution de dividendes provenant de réserves en cas de démembrement des titres sociaux. La Cour d’appel avait considéré « le droit de quasi-usufruit constitué (…) sur les dividendes des parts sociales démembrées résulte d’un accord de volontés entre tous les titulaires de parts sociales lors de l’assemblée des associés », d’où une dette de restitution qui « n’était pas déductible sauf pour les héritiers, si la dette avait été consentie par acte authentique ou par acte sous seing privé ayant date certaine avant l’ouverture de la succession autrement que par décès, à prouver la sincérité de cette dette et son existence au jour de l’ouverture de la succession ».


La Cour de cassation ne voit là, en revanche, qu’un quasi-usufruit légal avec les conséquences induites : « dans le cas où la collectivité des associés décide de distribuer un dividende par prélèvement sur les réserves, le droit de jouissance de l’usufruitier de droits sociaux s’exerce, sauf convention contraire entre celui-ci et le nu-propriétaire, sous la forme d’un quasi-usufruit, sur le produit de cette distribution revenant aux parts sociales grevées d’usufruit, de sorte que l’usufruitier se trouve tenu, en application de l’article 587 du Code civil, d’une dette de restitution exigible au terme de l’usufruit et qui, prenant sa source dans la loi, est déductible de l’actif successoral lorsque l’usufruit s’éteint par la mort de l’usufruitier ».


La décision nous paraît satisfaisante. Elle distingue le choix de l’assemblée générale d’un simple accord entre usufruitiers et nus propriétaires. Il nous apparaît néanmoins prudent de faire enregistrer la dette de restitution.

Que doit-on entendre par « convention contraire » ? La chambre commerciale consacre la possibilité de déroger conventionnellement à la règle du quasi-usufruit. Cette dérogation ne peut résulter de la résolution d’une assemblée générale, laquelle est un acte juridique unilatéral. Elle devrait résulter des statuts. Peut-elle provenir d’un pacte extrastatutaire ? d’une convention de démembrement ? Rien ne paraît l’empêcher.

La 1ère Chambre civile de la Cour de cassation a rendu une décision le 22 juin 20168 qui se révèle aller dans une direction différente par rapport à la solution retenue par la Chambre commerciale.
La solution de cet arrêt : « Si l’usufruitier a droit aux bénéfices, il n’a aucun droit sur les bénéfices qui ont été mis en réserve, lesquels constituent l’accroissement de l’actif social et reviennent en tant que tel(s) au nu-propriétaire ».


Cette solution peut faire l’objet de plusieurs critiques. Elle a pour fondement l’absence de droit de l’usufruitier sur les bénéfices mis en réserve. L’usufruitier n’a aucun droit sur les réserves. Mais il n’est pas possible d’en déduire à contrario qu’elles appartiennent au nu-propriétaire. Les réserves appartiennent à la société (cf. Cass. Com., 10 février 2009, Cadiou).

Usufruitier et nu-propriétaire de droits dans une société propriétaire de biens, sont dans une situation différente de celle d’un usufruitier et d’un nu-propriétaire qui exerceraient leurs droits directement sur ces biens. Le montant du bilan, des capitaux propres, sont inchangés après la mise en réserve des bénéfices. Où se situe l’accroissement de l’actif social ?

La 1ère chambre civile n’évoque pas le report de l’usufruit des droits sociaux sur les dividendes prélevés sur les réserves et attribués au nu-propriétaire.
Elle n’envisage pas non plus, l’hypothèse où le prélèvement sur les réserves interviendrait pour assurer la continuité du dividende compromise par une insuffisance de résultats.
Elle n’envisage pas non plus de correctif à sa solution.

Pratiques. Compte-tenu de la multiplicité des solutions en la matière, nous recommandons de définir avec précision l’expression des droits de l’usufruitier et / ou du nu-propriétaire sur la réserve. Parmi tous ces choix possibles les statuts devront définir les règles applicables en la matière. Ils sont libres d’organiser ce nouveau démembrement.


Il est donc possible :


– De prévoir une attribution au nu-propriétaire, sous réserve de l’exercice par l’usufruitier de son droit d’usufruit sur les biens objet de la distribution ;
– D’attribuer les droits à la réserve exclusivement au nu-propriétaire ;
– D’envisager une distribution partagée du dividende entre usufruitier et nu-propriétaire. Chacun d’entre eux, recevant alors une quote-part en pleine propriété dont les montants respectifs sont déterminés en fonction de l’âge de l’usufruitier et du taux d’intérêt de placement de la somme.
– Que les sommes distribuées au nu-propriétaire et à l’usufruitier puissent faire l’objet d’un remploi avec un report du démembrement.

Conséquences fiscales. Les solutions exposées ci-dessus engendrent des situations parfois complexes et illogiques eu égard au caractère parfois asymétrique de la taxation par rapport à la distribution.
En particulier, dans les sociétés translucides, le bénéfice est taxé chez l’usufruitier alors même qu’il est mis en réserve et accroît ainsi la base des droits du nu-propriétaire.

III – Stratégies

Régimes matrimoniaux. La décision du 27 mai 2015 n’est pas sans impact sur la composition des masses dans le cadre du régime de la communauté réduite aux acquêts. La Cour de cassation considérant que les réserves sont des produits, les réserves distribuées du chef de parts sociales ou actions propres seront-elles-mêmes propres.

Supposons, qu’un époux marié sous le régime de la communauté réduite aux acquêts détient des titres sociaux en propre et fait voter la distribution, les dividendes tombent alors dans la communauté (article 1401 du code civil) A l’inverse, si l’époux décide de mettre ces bénéfices dans un premier temps en réserve pour les distribuer plus tard, les dividendes sont propres en leur qualité de produit.

Optimisation de la transmission. Le schéma classique de la transmission a pour base une donation simple ou partage en nue-propriété faite par les parents à leurs enfants. Bien évidemment, les parents sont animés par intention libérale qui se révèle plus ou moins importante selon la psychologie du donateur. Mais, ils ont également pour volonté de continuer à percevoir des revenus du bien objet de la donation, d’en conserver le contrôle.

Lorsque la transmission démembrée porte sur des titres sociaux, l’organisation des droits des parents usufruitiers passent par une déconnexion entre l’avoir et le pouvoir. L’articulation de leurs droits tant au niveau politique que financier conduit à contourner l’adage « donner et retenir ne vaut ».
Un usage habile des réserves permet de rester sur la droite ligne de transmission contemporaine laissant au donateur usufruitier des perspectives de revenus tout en assurant une transmission défiscalisée au profit des enfants donataires.


Les comptes courants d’associés de la société constituent un actif successoral taxable au titre des droits de succession. Il existe plusieurs méthodes pour les diminuer ou les supprimer. Tout d’abord, il est possible de procéder à des amortissements comptables, ce qui permet de réduire mécaniquement le résultat et par voie de conséquence les comptes courants d’associés. L’autre méthode consiste à procéder à des réserves.

Les mises en réserves permettent également lorsque les prêts sont remboursés d’effacer progressivement les comptes courants d’associés en utilisant la trésorerie disponible9. En pratiquant une affectation en réserves, l’avantage est double au niveau de l’optimisation fiscale.

D’une part les comptes courants d’associés ne s’en trouve pas accrus et n’augmentent pas de fait l’actif successoral taxable. D’autre part, au moyen d’une rédaction appropriée des statuts, les bénéfices affectés en réserve seront transmis aux donataires nu-propriétaire en franchise de droits de donation ou de succession. Lorsque les donateurs usufruitiers n’ont pas besoin de revenus, les résultats mis en réserve ne sont pas distribués et ont vocation à revenir aux nus propriétaires au décès de l’usufruitier.

L’affectation en réserve des bénéfices engendre-t-il un risque fiscal particulier lorsqu’elle profite au nu-propriétaire ? Il semblerait en effet que la qualification au titre de la donation indirecte rode autour d’une affectation massive ou systématique. L’administration considère qu’elle peut « dans l’hypothèse où de tels actes ou conventions (de répartition du résultat) entraînent une mutation de propriété, (…) en tirer les conséquences en matière de droits de mutation à titre gratuit »10.

L’usufruitier n’a de droit que sur le bénéfice distribué. Tant que les réserves demeurent inscrites au bilan, elles appartiennent toujours à la société.

Nous trouvons les réponses à cette question dans le célèbre arrêt « Cadiou » de la Cour de cassation, chambre commerciale du 31 mars 200911. Dans cette affaire, le capital social de la société civile immobilière était réparti en 1.200 parts sociales entre la mère et ses trois enfants.

La mère avait fait donation en 1990 à ses enfants de la nue-propriété de 1.197 parts sociales. Chaque enfant détenant par ailleurs 1 part sociale en pleine propriété. Dans le cadre des assemblées générales de 1996, 1997, 1999, 2000 à 2001, il avait été décidé de l’affectation des bénéfices à un compte de réserves.


L’administration avait considéré que ces décisions répétées constituaient une donation indirecte faite par l’usufruitier aux nu-propriétaires. Elles avaient provoqué un dessaisissement de l’usufruitier au profit des enfants nus propriétaires.


La cour administrative d’appel de Lyon12 avait considéré qu’il n’y avait pas donation indirecte. Elle avait pourtant admis que l’administration avait pu faire abstraction de la personnalité morale de la société et considérer que la mise en réserves caractérisait une renonciation de l’usufruitière, animée d’une intention libérale envers ses enfants. Toutefois, il n’y avait pas selon elle irrévocabilité du dessaisissement de l’usufruitier compte tenu du fait que l’assemblée générale peut toujours décider ultérieurement d’une distribution des résultats mis en réserve.


La Cour de cassation se prononçant sur le pourvoir de l’Administration, a considéré qu’il n’y avait pas dépouillement de l’usufruitier au profit du nu-propriétaire au motif qu’« avant distribution de dividendes, l’usufruitier des parts sociales n’a pas de droits sur les bénéfices et qu’en participant à l’assemblée générale qui décide de les affecter à un compte de réserve, il ne consent aucune donation au nu-propriétaire ».


La mise en réserve augmente le capital dans l’intérêt exclusif des enfants nu-propriétaires, mais l’intention libérale est insuffisante pour réaliser la donation. En admettant l’enrichissement du nu-propriétaire, il manque l’appauvrissement de l’usufruitier. L’usufruitier décidant l’affectation de bénéfices à un compte de réserves ne consent aucune donation au nu-propriétaire, car les bénéfices ne sont pas entrés dans le patrimoine de l’usufruitier. En l’absence de dépouillement de l’usufruitier, il ne peut pas avoir de donation indirecte. La personnalité morale de la société fait écran entre celle des associés.


Par souci de précaution, nous recommandons de causer dans le procès-verbal concerné, la mise en réserve des bénéfices. Par exemple, en présence de trésorerie, la justification de la mise en réserve pourra être un souci de bonne gestion, en vue de constituer des provisions sur les futurs travaux d’entretien de l’immeuble. En l’absence de trésorerie, ce sont des raisons juridiques qui peuvent justifier la mise en réserves. Par exemple, en cas de donation avec stipulation d’usufruit successif, lorsque l’usufruitier actuel craint que l’usufruitier successif ne demande le remboursement du résultat affecté en compte courant d’associés lors de l’ouverture de son droit.

Revenus pour l’usufruitier. L’affectation en réserve peut permettre à l’usufruitier de percevoir des revenus, même après le remboursement complet du compte courant d’associés, s’il est prévu dans les statuts un quasi-usufruit sur les dividendes issues de la distribution de réserves13.


Philippe REBATTET
Notaire

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